
La frontière entre haine et admiration est souvent mince. Les attaques obsessionnelles, outrancières et nourries sont rarement le fruit du hasard ou de l’indifférence.
Elles sont bien souvent le signe d’une fascination qui n’ose pas dire son nom. La hargne déployée contre une cible est à la mesure de l’importance que celle-ci revêt aux yeux de son détracteur.
Assurément, les tribunes régulières de l’ancien patron de presse et ministre, Tibou KAMARA, suscitent un regain d’intérêt ces derniers temps. Si certains s’en délectent, invoquant la beauté du style et la pertinence des analyses, d’autres les vivent comme un cauchemar, avec beaucoup de ressentiment et d’aigreur.
L’un d’eux en particulier semble si obsédé par les sorties de celui qui fut également président du CNC – Conseil national de la Communication (aujourd’hui HAC) – , que l’on se demande si son cas ne relèverait pas de la psychanalyse. Un passage sur le divan pourrait peut-être sauver une âme en peine. Toujours aux aguets, épiant la moindre publication de celui qui hante son sommeil et meuble ses nuits blanches, il est prompt à lâcher sa bile à la première occasion. Son nom, un certain Bo KABA, ne dira certainement rien à la plupart des gens. Un anonymat que sa recherche effrénée de visibilité tarde à briser, et qui le cantonne dans ce que l’on appelle dans le jargon des rédactions un « animal inconnu ».
Sa dernière saillie ? Un pamphlet (un de plus), qu’il voulait sans doute dévastateur, mais qui n’est en réalité qu’un exercice de rancune stylisée. Caché derrière un titre mélodramatique (Le miroir brisé), il tente de parer sa diatribe d’un vernis philosophique qui ne sied guère.
Accuser un homme d’opportunisme simplement pour avoir servi dans plusieurs gouvernements tient de l’absurde. Si un ministre est rappelé à plusieurs reprises, n’est-ce pas le signe de qualités avérées et d’une capacité à gérer des dossiers complexes, plutôt que la preuve d’une versatile allégeance ? Cette critique, acerbe dans la forme mais creuse dans le fond, feint d’ignorer qu’une telle longévité ministérielle révèle du talent, de la compétence et de l’entregent.
Mais aussi, dans le cas présent, une loyauté sans faille, adossée à des convictions solides où il n’y a pas de place au reniement. Que ce soit du temps de CONTÉ face à CONDÉ et d’autres figures de l’opposition ; sous Dadis, lorsqu’il est allé réconforter Cellou Dalein DIALLO à la clinique après le drame du 28 septembre 2009 alors qu’il était ministre ; ou pendant le règne du RPG arc-en-ciel, face au chef de l’UFDG et de l’opposition dont il n’a jamais renié l’amitié, il a toujours fait preuve de constance. Combien peuvent se prévaloir d’une telle loyauté, alors qu’on voit d’anciens apparatchiks du régime défunt renier Alpha CONDÉ sans vergogne pour courtiser le pouvoir en place ?
Évidemment, l’objectif étant de faire mal, notre piètre pamphlétaire choisit la facilité de l’insulte (« opportuniste de palais ») plutôt qu’une analyse rigoureuse des faits.
“HAINE D’AMOUR”?
Au final, Le “Miroir brisé” est un échec retentissant pour son auteur. En voulant dresser le portrait d’un prétendu opportuniste, il a en réalité signé sa propre confession : celle de son impuissance à engager un débat sérieux, sans passion ni haine. La véritable confession que l’on découvre à la lecture est celle d’une obsession maladive. Loin d’atteindre sa cible, le pamphlet a eu l’effet d’un boomerang rhétorique, exposant au grand jour la petitesse de vue et la paresse intellectuelle de celui qui l’a écrit.
Cependant, quelque chose de plus pathétique pourrait se cacher derrière cet acharnement quasi morbide : le complexe de Marianne.
Popularisé par le psychanalyste Gérard MILLER, qui tire son nom du film Marianne de Jean-Pierre MOCKY, où un homme est si obsédé par une femme qu’il finit par la tuer, le concept décrit une relation d’admiration-haine envers une personnalité publique. On est fasciné, mais on ne peut ou ne veut se l’avouer. Cette admiration non assumée se transforme alors en une hostilité virulente et obsessionnelle, une forme de dépit amoureux aux effets parfois dramatiques.
En France, l’un des exemples les plus éloquents est celui de François MITTERRAND. De nombreux intellectuels, journalistes et politiciens de droite affichaient du mépris et une opposition virulente envers le président socialiste. Pourtant, une étude attentive de leurs discours révélait une connaissance intime de sa pensée, de ses méthodes, voire une fascination pour son habileté machiavélique et son érudition. L’essayiste de droite François Léotard, farouche opposant, finira par avouer, après la mort de MITTERRAND, une forme d’admiration contrite pour son « art de gouverner ». Leur haine n’était pas de l’indifférence, elle était alimentée par la conscience aiguë de son intelligence et de son efficacité, qu’ils ne pouvaient s’empêcher de reconnaître tout en le combattant.
Sur les réseaux sociaux, cela s’appelle le « hate-following » (suivi haineux). Des utilisateurs suivent assidûment des personnalités qu’ils prétendent détester (une influenceuse, un chroniqueur, un artiste). Ils commentent chacune de leurs publications avec rage et sarcasme. Leur haine active est en fait la preuve que leurs cibles occupent une place centrale dans leur esprit, à l’image d’un fan ou des adeptes d’un gourou.
C’est peut-être, au fond, le triste sort de notre Bo KABA. Devenu, malgré lui, un « expert » passionné de la pensée et du parcours de Tibou K AMARA, à l’image de tous ses semblables qui préfèrent crier leur mépris plutôt que de chuchoter leur admiration.
Mais, après tout, ne faut-il pas de tout pour faire un monde ?
N’Gara SY