
INTERVIEW. Que s’est-il passé la nuit du 9 juillet 2024 ? Seul témoin de l’arrestation des deux opposants, Mohamed Cissé raconte l’horreur de FOTOBA et accuse.
En Guinée, cela fait un an, jour pour jour, qu’Oumar Sylla alias Foniké Menguè, et Mamadou Billo Bah ont disparu. Ces deux militants du Front national de défense de la Constitution (FNDC) ont été arrêtés par des hommes armés au domicile de Foniké Menguè, après avoir appelé à protester, le 9 juillet 2024, contre la cherté de la vie et contre la répression des médias par les autorités de transition.
Il s’appelle Mohamed Cissé. Il fut le compagnon d’infortune de Foniké Mengué (Oumar Sylla, de son vrai nom) et de Mamadou Billo Bah, les deux célèbres disparus de Conakry, avec lesquels il a été arrêté et conduit au bagne de Fotoba, il y a exactement un an, ce 9 juillet. Ce témoin oculaire raconte exactement ce qui s’est passé et bat en brèche la thèse du gouvernement qui clame son innocence dans cette affaire et pousse le cynisme jusqu’à prétendre diligenter une enquête pour retrouver les coupables. Miraculeusement libéré après de longues séances de torture, il est aujourd’hui réfugié dans un pays voisin. C’est là que nous l’avons rencontré.
Le Point Afrique :Vous êtes coordinateur du FNDC pour la commune de Matoto dans le grand Conakry et vous êtes le seul témoin oculaire de l’arrestation de Foniké Mengué et Billo Bah, le 9 juillet 2024. Que s’est-il exactement passé ce jour-là ?
Mohamed Cissé : Ce jour-là, nous tenions une réunion chez Foniké Mengué. Vers 22 heures, des hommes en uniformes ont fait irruption dans la maison. Ils se sont jetés sur nous et nous ont traînés par terre jusqu’à la cour où six pick-up étaient garés (deux de la gendarmerie et quatre des Forces spéciales). Ils nous ont embarqués, direction l’escadron de la gendarmerie de Hamdallaye. Le commandant de cet escadron a ordonné de nous enfermer. Mais les agents des Forces spéciales s’y sont opposés : « Le colis est pour nous. » Ceux-ci nous ont transférés dans leurs blindés en direction du palais Mohamed-V, cette fois (c’est là que le général Mamadi DOUMBOUYA tient ses bureaux). Ils nous ont bastonnés tout le long du chemin et accusés de fomenter un complot. Les sévices ont continué dans la cour. Ils nous ont ligotés et maintenus par terre au milieu d’une bande de gradés hilares. Ils voulaient maintenant savoir les noms de nos complices : quel général, quel leader politique ?
J’insiste sur ces détails parce que le gouvernement veut faire croire qu’il s’agit d’une disparition volontaire ou crapuleuse. Non, c’est un kidnapping ordonné au plus haut sommet de l’État !
Des sévices dans la cour de la présidence !
Dans la cour de la présidence, oui ! Des gifles, des coups de bâton, des coups de crosse ! J’ai même vu un agent des Forces spéciales rabattre trois fois de suite la portière d’un blindé sur le bras de Billo Bah. Après cela, ils nous ont bandé les yeux avec nos propres habits et, la mer se trouvant tout près, conduits sur une chaloupe par un passage dérobé. J’ai tout de suite pensé au bagne de l’île de Fotoba, au large de Conakry.
Quand nous avons accosté une autre équipe nous a réceptionnés. Nous avons marché près d’un kilomètre à travers la broussaille. Des chiens tenus en laisse, je suppose, aboyaient sur nos pas.
Je me suis retrouvé seul dans une cellule faite de sorte qu’on ne puisse distinguer le jour de la nuit. Ils m’ont détaché tout en continuant à me donner des coups et à me demander le nom de mes complices.
Je ne me souviens pas de ce qui s’est passé ensuite. Avais-je dormi, m’étais-je évanoui et pour combien de temps ? Je ne sais pas. Quand j’ai ouvert les yeux, un gardien se tenait devant moi avec une torche. Il m’a offert de l’eau à boire. Il se faisait plus gentil que les autres, me promettant même de me sortir de là et de me donner un bon boulot si je me décidais à collaborer. Je me suis retrouvé dehors un beau matin, ligoté mais les yeux non bandés cette fois. On m’a jeté dans la chaloupe. Je me suis retrouvé dans un camp de gendarmes, le camp Makambo probablement. Il y eut une longue discussion. Je compris que les Forces spéciales voulaient me remettre aux gendarmes mais que ceux-ci refusaient, vu l’état dans lequel je me trouvais. Ils avaient peut-être peur que je meure dans leurs mains. Trois noms revenaient souvent dans ces discussions : un certain Jonas Haba, un certain Sangaré et un certain Mouctar Kaba. Je ne connais pas leur grade et leur fonction mais je sais qu’ils ont joué un rôle déterminant dans notre arrestation.
Finalement, les Forces spéciales m’ont remis dans leur blindé pour me conduire à l’état-major de la gendarmerie, chez le général Samoura. Ils m’ont remis aux gendarmes et ont immédiatement quitté les lieux. Comme j’étais toujours ligoté, un de mes nouveaux anges gardiens m’a collé un téléphone à l’oreille. C’était le général Samoura lui-même. Il était fou de rage : « Tu n’as répondu à aucune de nos questions ! Tu vas voir ce qui va t’arriver ! Vous voulez renverser le régime mais nous sommes prêts à tout pour vous en empêcher. » Après m’avoir copieusement insulté, il a ordonné de me relâcher. Seulement, je ne pouvais pas tenir debout et les gendarmes me pressaient de quitter le camp. Alors j’ai rampé tant bien que mal et je me suis affalé, à demi-mort quelques rues plus loin. C’est là que de bonnes âmes m’ont recueilli et remis à ma famille. On m’a fait remarquer que des gens louches rôdaient autour de la maison, alors des camarades du FNDC m’ont caché dans une planque à Coyah, à 50 kilomètres de Conakry. Et comme l’affaire Billo Bah-Foniké Mengué prenait une ampleur inattendue, les camarades ont décidé de me confier à un réseau clandestin pour me faire quitter le pays.
Ce n’est pas la première fois que le FNDC a maille à partir avec le pouvoir.
C’est normal. Le FNDC a été fondé en 2020 pour s’opposer à la volonté d’Alpha Condé de briguer un 3ème mandat en violation flagrante de la Constitution. Ses leaders, Foniké Mengué, Billo Bah, Ibrahima Diallo, Sékou Koundouno, Ibrahima Keïta, Abdoulaye Oumou Sow…, ont plusieurs fois séjourné en prison, en son temps. D’ailleurs, ils étaient en détention le jour du coup d’État, nos geôliers nous feront remarquer maintes fois que ce sont eux qui les ont libérés.
Vos relations avec Mamadi DOUMBOUYA étaient bonnes au début.
Ses relations étaient bonnes avec tout le monde au lendemain du coup d’État. C’est son entêtement à s’approprier le pouvoir, comme l’ont fait ses prédécesseurs, qui l’a mis au ban de la nation. Il avait d’ailleurs proposé au FNDC la présidence du CNT (le Conseil national de la transition).
Qu’est-ce qui a envenimé vos relations ?
La méfiance. Il a dû se dire que nous étions des trublions difficiles à manier et que nous serions trop ou tard un frein pour ses ambitions. Ce qui fait qu’en 2022 il a carrément dissous notre organisation.
D’où vient ce soupçon de complot qui vous a valu tous ces malheurs ?
En 2024, Foniké Mengué et Billo Bah se sont rendus au Parlement européen et aux Nations unies pour alerter sur les dangers que vivaient la transition, la lenteur délibérée de son rythme. Il n’y avait toujours ni Constitution ni fichier électoral, et d’évidence son chronogramme ne pouvait plus être respecté.
À leur retour, interrogé par la presse à l’aéroport, Foniké Mengué a sorti ce brûlot qui est à l’origine de tout : « La Transition va prendre fin dans six mois. Nous sommes revenus pour garantir le retour à l’ordre constitutionnel. » De ce jour, ils n’ont plus cessé de le filer et de le menacer de mort jusqu’à cette nuit fatidique du 9 juillet 2024.
Vous n’avez que 35 ans. Vous êtes issu d’un milieu relativement aisé : votre père était maire adjoint de Matoto et vous-même êtes ingénieur en énergétique, sorti de l’Institut supérieur de technologie de Mamou. Vous auriez pu vivre une vie tranquille à l’abri de toutes ces épreuves. Qu’est-ce qui vous a poussé vers le militantisme dans un pays où, vous le savez bien, les mœurs politiques sont d’une redoutable cruauté ?
La Guinée est un pays où les droits de l’homme sont constamment bafoués. C’est un pays pauvre, régi par un État policier, un système violent, clanique, particulièrement injuste. On n’a pas besoin d’une conscience politique aiguë pour ressentir un sentiment de révolte. L’engagement m’est venu naturellement. Quand le FNDC a été créé, je me suis dit : « Voilà mon affaire », et, croyez-moi bien, je ne regrette pas, j’ai trouvé le cadre qu’il me faut et les hommes qu’il me faut ; des hommes courageux, bourrés d’idéal. J’ai toujours entendu Foniké Mengué me dire : « Vous, les jeunes, préparez-vous ! Vous continuerez le combat si jamais il nous arrivait quelque chose. »
Vous n’en démordez pas, le dernier domicile connu de Foniké Mengué Billo Bah est bien le bagne de Fotoba ?
Aucun doute, là-dessus ! Et je peux vous assurer qu’ils étaient vivants quand je quittais les lieux puisque, de ma cellule, je les entendais gémir.
Selon vous, vivent-ils encore aujourd’hui ?
Je suis incapable de les imaginer morts. Ce serait une catastrophe et pas seulement pour leurs familles. Ces deux-là sont les phares du combat démocratique en Guinée S’ils les tuent, leurs cadavres les tueront tous, un à un.
Propos recueillis par : Tierno MONÉNEMBO