
La stratégie de guerre économique menée par les jihadistes contre Bamako permet aux trafiquants de développer un commerce de contrebande particulièrement lucratif dans les zones minières aurifères.

Les faits. À Kankan comme à Siguiri, à quelques encablures de la frontière avec le Mali, trouver du carburant relève désormais du parcours du combattant. La crise importée du pays voisin, où les convois pétroliers sont bloqués par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM), commence à paralyser le quotidien des Guinéens et à nourrir un trafic d’essence à grande échelle.
Dans ces localités, un bidon de 20 litres est désormais vendu jusqu’à 1 million de francs guinéens, voire échangé contre un gramme d’or, alors qu’il se vend habituellement pour 240 000 francs guinéens.
Ce 22 octobre, les autorités auraient saisi cinq minibus remplis de carburant à la frontière guinéo-malienne à Kourémalé. « C’est une pratique ancienne mais qui s’intensifie. L’essence de contrebande est principalement vendue dans les régions minières qui pullulent dans cette partie du Mali », explique un habitant de la zone frontalière. « Il y a très peu de stations-service le long de la frontière. Par exemple, entre Sibi et Kourémalé, on en compte seulement trois, ce qui ouvre évidemment la voie à la contrebande. »
Selon la même source, les trafiquants traversent aussi par la rivière, en pirogue, près de Dioulafono (côté Mali), ou passent par Kourémalé (Guinée) en utilisant des sotramas, les minibus locaux. Des images de ces véhicules interceptés par les autorités guinéennes à Kourémalé ont circulé ces derniers jours sur les réseaux sociaux, tandis que d’autres contrebandiers parvenaient à s’échapper à bord de tricycles.
Contexte. Dans cette région, le trafic d’essence n’est pas nouveau mais il a pris une ampleur inédite depuis quelques jours, selon plusieurs de nos sources. En effet, depuis début septembre, le JNIM mène un blocus ciblé des convois pétroliers en provenance de la Côte d’Ivoire et du Sénégal vers le Mali.
Cette stratégie perturbe l’approvisionnement en carburant de nombreuses villes maliennes, entrainant pénuries, hausse des prix et longues files d’attente dans les stations-service. La proximité des villes guinéennes de Kankan et Siguiri avec le Mali les met en première ligne de répercussions directes : leur carburant, destiné initialement au marché national, est détourné vers le voisin malien.
Les réactions. Face à la situation, les autorités guinéennes ont pris des mesures. À Kankan, un protocole d’accord a été signé le 17 octobre entre le préfet, le président de la délégation spéciale (qui fait office de maire provisoire) et le représentant local de la Société nationale des pétroles (SONAP).
L’entente tripartite prévoit des « mesures exceptionnelles pour réguler la distribution et prévenir des abus », au premier rang desquelles l’interdiction « jusqu’à nouvel ordre » de servir du carburant dans des bidons et des fûts. Quant aux engins roulants, les stations-service ne peuvent pas distribuer plus de cinq litres pour les motos et vingt litres pour les véhicules.
À Siguiri, la ville aurifère la plus proche du Mali, des mesures moins contraignantes ont été prises par l’autorité préfectorale. Il s’agit notamment de ne pas distribuer de carburant entre 20 heures et 7 heures.
Le 22 octobre, le gouvernement a réagi par la voix du ministre guinéen de l’Hydraulique et des Hydrocarbures, Aboubacar Camara. Celui-ci a assuré que la SONAP mettait « tout en œuvre pour garantir la desserte en carburant » dans tout le pays, et plus particulièrement dans la région frontalière de la Haute-Guinée. « Je tiens à rappeler que les stocks disponibles au niveau national sont suffisants pour couvrir la consommation intérieure. Le véritable défi réside donc moins dans la disponibilité du produit que dans sa sécurisation et sa distribution effective jusqu’aux consommateurs finaux », assure Aboubacar Camara.
Ce que ça change. Sur le terrain, les mesures semblent peu respectées et la situation s’aggrave. « Des véhicules militaires sont venus remplir des centaines de bidons de 20 litres chacun, sur ordre du préfet. Cela a provoqué la colère des jeunes », rapporte un habitant de Siguiri. Il s’étonne par ailleurs de constater que « les contrebandiers franchissent les check-points sans être inquiétés », estimant qu’ils ont « des complicités partout ».
Les gérants de stations-service sont, eux aussi, accusés de contourner les consignes. « J’ai vu une citerne venir faire le plein à minuit avant de repartir vers le Mali », confie le même témoin. Par ailleurs, le marché aurifère de Siguiri entraîne une intensification de la demande de ce carburant de contrebande. Le bidon d’essence vendu à prix d’or montre combien l’offre formelle est désormais dépassée par les dynamiques informelles. Un phénomène qui va, mécaniquement, continuer de nourrir le trafic de carburant.
Source : JEUNE AFRIQUE