
Il est des décisions qui, à force de vouloir paraître héroïques, trahissent surtout l’odeur du calcul à distance. L’annonce faite ce 10 août par les forces dites vives – terme qui, au regard de leur état actuel, relève plus de la nostalgie que de la description – en est une illustration éclatante. À compter du 5 septembre, jurent-elles, la rue sera leur tribune, la nation leur théâtre. Mais à y regarder de plus près, qui tiendra le premier rôle ? Certainement pas ces généraux de l’agitation politique, réfugiés dans les capitales étrangères, bien à l’abri des gaz lacrymogènes et des matraques.
Depuis que le vent a tourné en Guinée, les stratèges de la contestation ont, pour la plupart, pris le large. Exilés volontaires ou prudents déserteurs, ils ont échangé le pavé poussiéreux de Conakry contre les trottoirs impeccables de Paris, Bruxelles, Dakar ou Abidjan. Là-bas, confortablement installés, nourris parfois aux frais de nos compatriotes de la diaspora, choyés par des réseaux diplomatiques complaisants, ils continuent de dicter des mots d’ordre qu’ils n’appliqueront jamais eux-mêmes.
Leur méthode est connue : attiser le brasier sans jamais s’en approcher. Ils savent que, dans une manifestation improvisée, ce sont les plus pauvres, les plus jeunes, les plus désœuvrés – souvent manipulés – qui affrontent la police. Et lorsque la tragédie survient, lorsque des vies s’éteignent sur l’asphalte, ces morts deviennent des munitions diplomatiques, exhibées comme des trophées macabres dans les salons feutrés des chancelleries.
Ce jeu morbide a assez duré. Veulent-ils donc que le sang des autres leur pave la route du retour ? Rêvent-ils de cette révolution par procuration, où eux reviendraient, tel le sauveur tardif, se beurrer sur les plaies encore ouvertes de la nation ? Qu’ils se détrompent : ce scénario ne se rejouera pas.
Il est pourtant possible d’avoir une posture critique sans fuir la scène. L’écrivain Tierno Monénembo en est la preuve : il vit en Guinée, y voyage librement, exprime son opinion, et assume ses positions. Il n’a pas troqué son engagement contre un visa longue durée ni contre la chaleur d’un exil doré.
La politique, surtout celle qui prétend défendre le peuple, exige du courage sur le terrain. Nos exilés professionnels, eux, ont préféré la prudence géographique à la témérité morale. Qu’ils reviennent donc, s’ils estiment que leur cause est juste. Qu’ils affrontent le regard des leurs, la poussière de nos rues et la tension de nos places publiques. C’est là, et seulement là, que se mesure la sincérité d’un combat.
En attendant, leurs proclamations de lutte ne sont que des échos lointains : des voix qui tonnent depuis des lieux sûrs, mais qui, ici, ne résonnent plus qu’avec le son creux des promesses sans chair.
Sambégou DIALLO, Journaliste, chroniqueur