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Sortie du commissaire Diouméssy ou l’intérêt d’un récit incomplet

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Les « révélations  » de l’ancien Commissaire de Police, Elhadj Ibrahima Sory Diouméssy sur les « origines » de l’ancien Président de la République, Alpha Condé et la « complicité  » de l’ancien Président de l’Assemblée nationale, Amadou Damaro Camara, proche de l’ancien Premier ministre, le Colonel  Diarra Traoré, dans le « montage  » du coup d’état avorté du 04 juillet 1985 font débat.

Si le Président de l’association des victimes de la répression, manifeste une tenace rancune et rancœurs envers les 2 premières figures du régime déchu le 05 septembre 2021, les propos de l’ancien collaborateur du ministre de l’intérieur de l’époque, Hervé Vincent Bangoura ne sont pas sans intérêts.

Politiquement et moralement, l’ancien Président de la République, Alpha Condé, malgré un exil doré en Turquie, l’ancien Président du Parlement, Amadou Damaro Camara, sous mandat dépôt depuis le 27 avril 2022 et condamné le 2 décembre 2024 à 4 ans de prison ferme et beaucoup d’autres dignitaires du régime RPG ARC-EN-CIEL vivent, depuis le 05 septembre 2021, les moments les plus inconfortables de leur existence humaine tout court.

Il est vrai que sous le régime du Général Lansana Conté, l’un et l’autre ont connu les affres de la prison. Trois ans et quatre mois à Kindia pour Amadou Damaro Camara suite aux événements du 04 juillet 1985, 2 ans et 4 mois à la maison centrale de Coronthie pour Alpha Condé après son incompréhensible tentative de fuite le jour du vote de l’élection présidentielle du 14 décembre 1998.

Relativement jeunes à ces époques, l’un et l’autre ont bénéficié d’importants soutiens qui ont appelé à leur libération, ils ont eu le temps et les moyens de se reconstruire, s’épanouir, conquérir le Pouvoir et l’exercer plus d’une décennie.

À 87 et 73 ans révolus aujourd’hui, à la perte inattendue et brutale du pouvoir et les énormes avantages dont ils jouissaient, s’ajoutent les épreuves de l’exil, la prison, l’isolement, l’ingratitude, l’abandon, la trahison ou le réalisme des proches et protégés d’hier, et surtout le désespoir de l’impuissance pour les 2 anciennes personnalités de l’Etat Guinéen.

Quid des   » révélations  » de Diouméssy  sur Alpha Condé : « tout pour le Pouvoir »

Pour ceux qui connaissent l’histoire du RPG, Elhadj Ibrahima Sory Diouméssy, rescapé du 04 juillet 1985, a été l’un des premiers cadres ressortissants de la Haute Guinée à adhérer au parti fondé par Alpha Condé,  au début des années 1990, avec la volonté de conquérir le pouvoir et réparer sinon venger les plaies et douleurs du coup d’état avorté.

Mais, entre les 2 hommes, la lune de miel a été de courte durée. La confiance n’a pas survécu au temps qui a suffit aux 2 hommes de mieux se connaître et de s’évaluer. En vérité, après l’avoir approché et pratiqué, le commissaire de police et quelques cadres n’ont pas constaté chez Alpha Condé le leadership et le charisme dont il était auréolé notamment par la presse Française avant son historique retour du 17 mai 1991. Dès lors, la suite n’allait pas être facile entre un ancien rescapé se croyant plus légitime et plus pugnace et un leader convaincu d’être le sauveur incontestable, à qui tout le monde doit obéissance et soumission.

Après la légalisation du parti, le 03 avril 1992 et la présidentielle de décembre 1993, Elhadj Ibrahima Sory Diouméssy est l’un de ceux qui ont engagé une forme de campagne de discrédit contre Alpha Condé reprochant au leader et candidat d’avoir étalé sur la place publique les limites de ses capacités intellectuelles et morales durant la campagne électorale. Pour eux, il n’était plus acceptable de laisser diriger un parti, comme ils l’ambitionnaient, par un tel personnage. Dès lors, tout sera fait pour le discréditer, le débarquer ou, à défaut, affaiblir le RPG, si le leadership ne changeait pas. Beaucoup soupçonnent le commissaire de s’être mis au service du ministre de l’intérieur de l’époque, le très rusé René Alsény Gomez.

Ainsi, après un conclave secret au bureau de René Alsény Gomez, alors ministre de l’intérieur, avec Ahmed Tidiane Cissé, Elhadj Ibrahima Fofana, Jean Soumahoro, Moussa 3 Bayault Camara, ils animent un point de presse, en janvier 1994, et accusent Alpha Condé d’entretenir des menées subversives contre le régime du Général  Lansana Conté. Cette sortie secoue terriblement Alpha Condé, ébranle le RPG jusque dans ses fondements.

Un congrès extraordinaire est convoqué d’urgence, les statuts sont revus dans le sens du renforcement des pouvoirs et prérogatives du secrétaire général devenu président du parti.

Désormais, Président du RPG, Alpha Condé, désordonné et brouillon, reconstitue laborieusement le bureau politique, élève Hadja Fatou Bangoura dans les fonctions de Secrétaire politique en remplacement d’Ahmed Tidiane Cissé ignoré avec tous les autres dissidents dont El hadj Ibrahima Sory Diouméssy dans la nouvelle structure de la direction du Parti. Exclus de facto du Parti, la rupture était totalement consommée et la guerre déjà ouverte s’enflamme entre les anciens compagnons.

Alpha Condé et le RPG, déjà dans le collimateur de l’Etat, souffriront énormément de cette adversité supplémentaire, sinon complémentaire, jusqu’à son arrestation en 1998.

A chaque occasion qui se présentait,  notamment dans les interviews qu’il accordait souvent à notre confrère, feu Biram Sacko, El hadj Ibrahima Sory Diouméssy tout comme ses compagnons dissidents ne se privait pas d’asséner de violents coups à Alpha Condé, accusé de tous les maux du pays.

À son avènement au pouvoir en 2010, malgré ses proclamations d’être « le Mandela Guinéen » synonyme de pardon et de  tolérance, Alpha  Condé, se montre plus que jamais rancunier et refuse toute réconciliation avec ses anciens compagnons, à la notable exception d’Ahmed Tidiane Cissé nommé ministre de la Culture, mais sans moyens, et qui mourra misérablement, abandonné et oublié à Mans (France), en janvier  2015. Elhadj Ibrahima Sory Diouméssy et le reste du groupe gardent le profil bas, subissent résignés ou plutôt reclus les 11 années de règne du Président Alpha Condé.

Près de 4 ans après la chute de l’ancien Président, c’est un homme sans doute frustré par certains actes posés durant le règne qui a décidé de reprendre et de solder le combat de la rivalité entrepris depuis 30 ans.

À partir de là, quel crédit accordé à son récit ?

Historiquement, Elhadj Ibrahima Sory Diouméssy dit vrai.  Effectivement,  un décret du 5 septembre 1932 a supprimé la colonie de la Haute-Volta et répartit son territoire entre les colonies du Niger, du Soudan français et de la Côte-d’Ivoire.

Après la Seconde Guerre mondiale, sous la pression de la Communauté Mossi, la Haute Volta redevient à nouveau un territoire ouest-africain, le 04 septembre 1947 et récupère ses localités réparties aux trois pays.

Mais, selon des témoignages dignes de confiance, le père du Président Alpha Condé, Madou Condé, serait plutôt de Kong en Côte d’Ivoire et non du Soudan français (Mali ). Venu en Guinée, en provenance de l’Afrique Centrale, avec son Patron Français nommé  Georges Poiret dont il était le cuisinier, le vieux Madou Condé n’avait à l’époque que 3 enfants (Amie Condé, Sékou Condé « Mangè » et Djaba Condé). N’Sira Condé, Alpha Condé et Almamy Malick Condé naîtront  à Boké, premier point de chute du père, où il  épousa une femme nalou (Saran Camara) génitrice des trois derniers nés de la fratrie. Tènin Sangaré, mère de cette épouse guinéenne  de Madou Condé,  était une Peule ‘’Wassolon’’ du Soudan Français (Mali).

Juridiquement, Alpha Condé est donc Guinéen. Personne ne peut lui dénier ce droit. Mais, au regard du parcours et des mouvements du vieux Madou Condé en Guinée, successivement interprète en Susu au tribunal colonial de Boké, quand le grand-père des Ibrahima Sory Makanera, Kerfalla Makanera et autres traduisait en Pular. Le vieux Madou Condé fût  aussi le planton de l’un des premiers intellectuels Africains, Moussa Keïta, actif militant du BAG, grand propriétaire terrien à Madina, dont le terrain sur lequel est bâti l’entrepôt de la  fameuse  société  PROGUI (Madina-poste). Il a  egalement été au service du Premier ministre Docteur Lansana Béavogui, locataire à Boulbinet et est propriétaire d’une concession sise à Madina Mafanco. La logique voudrait que son fils Alpha Condé se réclame originaire soit de Boké où il a vu le Jour, Kaloum où il a fait ses premiers pas ou Madina où se trouve justement la première, sinon l’unique concession familiale. Après tout, il y a des Condé de Dalaba, comme Aliou Condé de l’UFDG, de Dalaba ou Mamou comme Cheick Fantamady Conde, de Koïn Tougue comme Fodé Amara Condé, des Fofana, Doumbouya, Chérif, Dioubaté, Kouyaté, Sacko, Kaba de Tombo, Dubréka, Boké, Coyah, Kindia, Forécariah comme Aly Kaba,  Moustapha Kaba, Aboubacar Sakho,  Gnamey Diabaté Bond,  Setigui ‘’Bob’’ Doumbouya, Tidiane Kaba, Elhadj Fodé Oussou Fofana, Alpha Kabinet Doumbouya, Souleymane Chérif, Abdoul Karim Dioubaté. Pour dire simple, leurs arrières grands-parents, grands-parents ou pères s’y sont installés, implantés et transmis l’amour de ces localités à leurs progénitures totalement intégrés à la vie de ces zones, dont ils sont autant autochtones que les premiers résidents.  Le rattachement de la Haute Guinée, elle-même à la  Guinée Française est relativement récent, il a été officialisé par le décret du 17 octobre 1899, il y a 126 ans. La Guinée Française, comme son nom l’indique, s’est formée au gré des conquêtes, accords entre puissances étrangères et réaménagements opérés par le colonisateur.

Mais, si nul ne peut contester à Alpha Condé sa nationalité Guinéenne, le fait d’inventer au natif de Kakandé, le gamin de Madina-Mafanco, un autre village d’origine (Baro dans Kouroussa) confère aux déclarations du commissaire Diouméssy tout son intérêt. En agissant ainsi pour des calculs  ethno-politiques, Alpha Condé et les notables Mandingues, initiateurs et concepteurs de cette imposture ont été très mal inspirés. Elhadj Ibrahima Sory Diouméssy, au parfum du montage, semble faire un aveu  – certes tardif  – mais un aveu tout de même :  » nous avons menti pour asseoir et consolider l’emprise d’un politicien sur la Haute-Guinée « , une région où il était déjà populaire et adopté depuis la réponse du Président Lansana Conté à une question de l’ancien journaliste de RFI, Hassan Diop, lors d’une conférence de presse animée par Justin Morel Junior, alors directeur national de la RTG, le 02 octobre 1990.

Alors que l’essentiel pour un Homme d’Etat ou celui qui y aspire est d’aimer son pays, se consacrer à son développement, trouver les réponses aux besoins vitaux des populations, le fait de vouloir revendiquer une origine dans une région où il n’avait jamais mis pied avant le 03 avril 1992 était déjà illustratif, pour beaucoup, du peu d’amour et d’intérêt du Président  Alpha Condé pour la Guinée. En France, personne n’ignore que le père de Nicolas Sarkozy est venu de la Hongrie, que celui de Barack Obama aux États-Unis était un Kenyan. Mais l’un et l’autre, attachés aux pays où ils sont nés et grandis, ont été élus et ont exercé le Pouvoir sans que personne ne mette en cause leurs origines ou celles de leurs parents.

Alors, Alpha Condé a-t-il réellement pour la Guinée l’affect de sa soif de pouvoir ?

Cette fondamentale question confère à la « révélation  » de Diouméssy tout son sens.

Le bilan de sa décennie de règne, largement en deçà de la réputation de l’homme politique et des espoirs suscités ainsi que de ses multiples relations internationales, fait planer le doute sur la sincérité d’un leader généralement absent.

Amadou Damaro Camara  ou « les faveurs du piège »

L’ancien banquier proche du Colonel Diarra Traoré a t-il piégé l’ancien Premier ministre ?

Oui, affirme le Président de l’association des victimes du 04 juillet 1985.

Mais, la forme de ce « piège  » que laisse entendre le récit de l’ancien Commissaire paraît douteuse. Même si son imprudence a été souvent soulignée, il est impensable que le Colonel Diarra Traoré pousse si loin la légèreté au point de se faire enregistrer de cette manière totalement puérile par Damaro Camara et laisser partir la bande sonore. Toujours est-il que les affirmations du  Commissaire sur le fait que le Colonel Diarra Traoré s’était bel et bien livré à l’exercice constituent une forme d’aveu accréditant tout au moins l’intention du Coup d’état.

À partir de là, incriminer seulement Amadou Damaro Camara qui a fait 3 ans de détention paraît facile. Pour de nombreux  observateurs, l’analyse entre les lignes des déclarations du commissaire Diouméssy, qui était alors un cadre de la Police, dirigée alors par le sulfureux Hervé Vincent Bangoura, laisse transparaître des indices indiquant que le Colonel Diarra Traoré et ses compagnons officiers exécutés suite aux événements du 04 juillet 1985 ont été victimes de tout un groupe de cadres civils proches de l’ancien Premier ministre.

Amadou Damaro Camara était-il le cerveau de ce groupe ?

Le policier reproche t-il au banquier une forme de trahison à son endroit ?

Impossible de trancher.

Toujours est-il que des années bien avant la sortie de son livre, « LE COUP D’ÉTAT MANQUÉ DU COLONEL DIARRA TRAORÉ », Amadou Damaro Camara avait parlé, en 1992, dans les colonnes de l’hebdomadaire L’INDÉPENDANT en affirmant qu’ « il y a eu prise d’armes  » le 04 juillet 1985 dans une exclusive interview accordée à notre feu confrère Aboubacar Condé. Cette interview a eu l’effet d’atomiser les victimes et tous ceux qui contestaient la réalité de la tentative et conforter les partisans du Pouvoir en place.  Le lendemain de la parution du Journal, le Colonel Sama Panival Bangoura s’est personnellement rendu au siège du Journal à la Belle vue pour exprimer sa joie et louer le courage de Damaro.

Aussi, le parcours exceptionnel du banquier notamment sa proximité avec le richissime homme d’affaires Président du Conseil des Maliens de l’étranger, Elhadj Chérif Haïdara, proche ami du Président Lansana Conté, lui ouvrant les portes du Palais avec de nombreux avantages et opportunités d’affaires a fait croire à beaucoup à l’époque qu’Amadou Damaro Camara bénéficie d’un « traitement de faveur » en récompense au « service rendu, du  piège qu’il a accepté de tendre au Colonel Diarra Traoré et aux officiers éliminés.

Enfin, Amadou Damaro Camara a été l’un des rares, sinon l’unique, rescapé du 04 juillet 1985 à ne pas adhérer au RPG.

Devenir, 35 ans après ces douloureux événements, Président de l’assemblée nationale avec ce Parti construit sur le sang des victimes et les cendres des biens détruits a sans doute indigné davantage et provoqué la hargne du Président de l’association des victimes de la répression contre Amadou Damaro Camara et Alpha Condé.

Pour lui et tous ceux qui accusent l’ancien proche du Colonel Diarra Traoré d’avoir prospéré sur les cendres du 04 juillet 1985, Alpha Condé a trahie et commis  un crime envers les militants et victimes qui ont massivement adhéré au RPG en réaction à ces événements en permettant à Amadou Damaro Camara de profiter du beurre et de l’argent du beurre.

Cependant, comme on pourrait s’en rendre compte, le témoignage testamentaire de l’ancien Commissaire de Police, qui a bien connu les 2 anciens ministres de l’intérieur, est loin d’être complet.

Abdoulaye Condé

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